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Psychanalyse, psychologie, un point de vue
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Psychanalyse, psychologie, un point de vue
  • Ce blog a pour objet le partage et la transmission d’un point de vue, singulier, sur: d’une part, l’exercice de la psychologie en général et de la praxis de la psychologie du travail en particulier, et, d’autre part, une praxis de la psychanalyse…
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14 mai 2020

Narcisse, Echo et Tirésias

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Une lecture d’Ovide[1]

Tirésias et le déterminisme conditionnel : rien n'est, peut-être, définitif

Lorsque Liriopé a mis au monde Narcisse, elle l’aurait trouvé beau; une mère avisée craint pour son bébé, lorsque la vie lui a fait don de la beauté, ce cadeau empoisonné. C'est avec cette crainte qu'elle aurait consulté Tirésias pour lui demander si son enfant vivrait assez longtemps pour connaître le temps de la vieillesse. Tirésias s'était bien gardé de répondre par oui ou par non.

Le destin n'est pas sûr ; si la vie s’oriente d'une façon, rien ne peut prédire de manière déterminée qu'elle en sera l'issue ; rien n'est définitif. Il y a des possibles, il y a des probables ; ainsi Tirésias a répondu : si… ! « S’il ne se connaît pas » ; autrement dit, il est possible que Narcisse vive longtemps, il est possible qu'il meure dans sa jeunesse, cela dépendra d'une condition : qu'il ne se connaisse pas. Cette phrase sibylline, ne l'était peut-être pas tant, pour Liriopé. Tirésias n’a-t-il pas répondu exactement à sa question : qu'il ne sache jamais qu'il est beau !

Ainsi Tirésias alerte : à trop vouloir se regarder, on se perd ; ne s'intéresser qu’à soi, est mortel. Cela veut-il dire qu’il vaut mieux suivre les préceptes chrétiens : Aimez-vous les uns les autres… Ne reste-t-on pas ainsi dans l'image et l'amour de soi, au travers des autres ? Dans cette perspective, pas sûr que l’on échappe aux probabilités de Tirésias. En effet, pour Freud, cet amour-là est encore narcissique, puisqu’il s’agit d’aimer les autres… comme soi-même.

Ovide ne nous dit pas, ni pourquoi ni comment, en plus de sa beauté pourtant si douce, se loge chez Narcisse « un si dur orgueil » au point « qu'aucun jeune homme aucune jeune fille ne l'émeut ». Dans sa seizième année, Narcisse aurait-il été déjà si sûr de son pouvoir de séduction ? En plus de cela, il n'éprouve aucune bonté d'âme et ne se contente pas d'ignorer celles et ceux qui l’aiment, il les méprise.

Parmi ces nymphes et ces jeunes hommes méprisés, Narcisse rencontre Écho.

Écho

« Écho, alors, était corps et non voix » ; Plus exactement, sa voix ne pouvait prononcer aucune parole qui lui soit propre. Elle était empêchée en cela. Elle ne pouvait que répéter les derniers mots prononcés par l'un ou l'autre ; On pourrait se demander d'ailleurs, si elle avait même une pensée propre, ou si elle n'était capable que d'adopter les pensées d’autrui. Serait-elle à l'origine de ce dicton : c'est le dernier qui parle qui a raison ? où serait-elle à l'origine du processus de la rumeur, qui ne répète qu'une partie du message reçu, à l'infini ?

D'où lui venait cet empêchement ? Cela remontait à un conflit ancien, un conflit avec Junon, la déesse mère, surmoïque, qu'elle avait essayé de trahir pour protéger les nymphes, ses sœurs, toutes affairées à leur plaisir : Lorsque Junon surprenait les nymphes couchées sous Jupiter, Écho la retenait en lui tenant de longs discours, ce qui permettait, aux nymphes, de fuir… Alors Junon la punit par où elle avait pêché : « De cette langue qui m'a trompée, il sera tout petit le pouvoir, tu feras un minuscule usage de ta voix ». Elle confirme ces menaces par le fait ; à la fin d'un discours, Écho double les paroles, rapporte les mots entendus », elle ne sait plus rien dire d'autre.

Une rencontre funeste pour écho : Narcisse

Lorsque Écho aperçoit Narcisse, son cœur s'enflamme ; elle le suit en cachette « plus elle le suit, plus elle chauffe d'un feu plus proche » ; « Combien de fois, elle veut venir à lui, avec des paroles tendres et lui faire de douces prières » mais elle ne peut parler la première, alors elle guette les sons pour lui renvoyer ses mots à lui…

« Qui est là » dit-il, « là, là, là » répond Écho ; « viens » dit-il, « viens, » répond Écho ; « Ici réunissons » nous dit-il ; « unissons-nous, répond Écho ; elle sort alors de la forêt pour se jeter à son cou. Il fuit : « sors tes mains de là, je mourrai, dit-il, avant d'être à toi ! ». Elle répète : « être à toi, être à toi, être à toi… ». Méprisée, Écho se cache dans les forêts, vit dans des grottes de solitude ; « son amour est bien accroché, il grandit de la douleur du refus » ; Écho dépérit, devient pierre, roche. Depuis, c'est elle que l'on entend dans les montagnes, « elle est le son, il vit en elle ».

La déesse Rhamnonte rend justice aux méprisé.e.s[2]

« Narcisse s'était amusé avec d'autres nymphes, nées des eaux ou des montagnes, et avec des jeunes hommes ; un de ceux qu'il a méprisé lève les mains vers le ciel : « qu'il soit amoureux lui aussi sans posséder l'aimé ! », la déesse Rhamnonte acquiesce à cette prière juste». Mais comment exercer ce vœu, puisque Narcisse ne semble pouvoir aimer personne ?

Là, l'histoire est connue, Narcisse fatigué et assoiffé, se penche sur l'eau d'une source ; « il boit et saisi par l'image de la beauté vue »… « il est stupéfié, immobile à son visage». Narcisse est subjugué par sa beauté, « il se désire, le fou, celui qui aime est aimé» par lui-même…  « Ce que tu cherches n’est nulle part ; ce que tu aimes, tournes toi, tu le perds, ce que tu aperçois : l'ombre de ton image, reflétée. » Après bien des tourments Narcisse meurt de désespoir, de n'avoir pu prendre dans ses bras l’être si follement aimé. Echo n'est pas loin, qui répète encore ses derniers mots : « hélas », « adieu ».

Ovide nous dit que Tirésias en a tiré une renommée, que l'on dirait aujourd'hui internationale. On pourrait penser qu'il avait éprouvé une grande tristesse, constatant que son avertissement s'était mu en destin. La fleur de Narcisse qui pousse désormais près des rivières ne prédit rien, mais continue de nous alerter au danger des miroirs, elle qui contient, dans ses bulbes, des poisons.

Ah, si Narcisse avait pu détourner les yeux de son regard, pour admirer la source, le gazon, la forêt, la beauté du lieu, et au-delà, s'il avait cherché les bergers et les chèvres qui paissent dans la montagne, les oiseaux et les bêtes sauvages qui se cachaient, et plonger tout entier dans la beauté du monde…

Ah, si Echo ne s’était pas identifée à ses soeurs au point de protéger leurs plaisirs éphémères avec Jupiter... si Echo ne s'était pas infligée la dureté de Junon, son surmoi intraitable… Elle n'aurait pas été empêtrée dans ce conflit psychique qui l'a réduite au silence, elle aurait pu faire usage de sa voix pour produire son propre discours et chercher sa voie singulière…

« Avec des si, on referait la monde » dirait Monsieur de la palisse ; Avec des si, inventons le monde, comme l’a dit Tirésias : Si…

Catherine Jobert

Ce qui importe c’est d’aller vers, et non d’être arrivé

Antoine de Saint exupéry, Citadelles


[1] Les métamorphoses, Ovide, traduit du latin par Marie Cosnay, ed. de l’Ogre. 2017

[2] Némésis que l’on appelle aussi Adrastée ou Rhamnusie, Déesse vengeresse, qui punit les crimes liés à l'hybris (la démesure en grec), repésentait la loi. https://mythologica.fr/grec/nemesis.htm

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