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Psychanalyse, psychologie, un point de vue
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Psychanalyse, psychologie, un point de vue
  • Ce blog a pour objet le partage et la transmission d’un point de vue, singulier, sur: d’une part, l’exercice de la psychologie en général et de la praxis de la psychologie du travail en particulier, et, d’autre part, une praxis de la psychanalyse…
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Le mot d’esprit et sa relation à l’insu culturel

 

sigmund

 

Le mot d’esprit et sa relation à l’insu culturel

Contexte de la recherche de S. Freud sur le mot d’esprit[1] 

Catherine Jobert, psychanalyste, psychologue

Texte présenté lors de la « journée d’Alters » à Toulouse le 20 janvier 2018.

 

Quels éléments de contexte, quels énoncés permettent d’éclairer la démarche d’un auteur et d’appréhender l’imprégnation de la culture de son époque sur sa recherche et sur son objet ? Je n’ai pas retenu ici, le contexte des énoncés scientifiques, ni même la facette du discours religieux de la culture d’appartenance de S. Freud, déjà largement évoqués par d’autres. Le point de vue choisi ici part du contexte socio-historique, politique et culturel dans lequel S. Freud a grandi. Point de vue qui éclaire un aspect du choix qui l’a conduit vers cet objet de recherche singulier : le mot d’esprit. Pour ce faire ; je me suis référé à l’ouvrage d’Elisabeth Roudinesco, de 2014, Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre.

La démarche de recherche de Freud ou la part de subjectivité

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais dire un mot sur la spécificité la démarche de recherche en psychanalyse tel que Freud la présente au début de l’ouvrage.

Dans un premier temps, classiquement, il va étudier la tradition et compiler les travaux de ses prédécesseurs, T. Lipps, K. Fischer, T. Vischer, Kraepelin, Heymans … pour s’adosser à leurs travaux en les mettant à l’épreuve de son expérience, sans hésiter à les contredire quand il le juge nécessaire. S. Freud ne part pas de rien mais ne se contente pas d’accumuler les savoirs.

Pour ce faire, dans un second temps, il confronte cette étude en prenant en compte le contexte actuel et s’attache à recueillir des matériaux nouveaux pour élargir les bases de la recherche. Jusque-là rien de particulier, mais, où trouver ces matériaux nouveaux si ce n’est à partir de sa propre expérience ? « On comprendra alors que nous prenions pour objet de notre investigation les exemples de mots d'esprit qui au cours de notre propre vie mon produit sur nous la plus grand d'impression et nous ont fait le plus rire.[2] »

Ce faisant, il pointe sans la revendiquer la part de subjectivité engagée dans son travail, ce qui conduit ce psychanalyste-chercheur à travailler avec les matériaux issus de son expérience propre; c’est en ce sens qu’il est extrêmement d’actualité. C’est une posture qu’Edgar Morin, entre autres, ne cesse de rappeler : il existe un « lien inséparable entre l’observateur et la chose observée »[3] d’où la nécessité de « prendre conscience, de ce qui produit les conditionnements idéologiques de notre connaissance, au niveau de « l’écosystème social »[4]

Enfin, comme dans toute recherche, Freud formule une hypothèse, en résumé : l’expression de l’inconscient utilise les logiques du mot d’esprit, il recourt aux mêmes processus de travail que ceux mis en œuvre dans les rêves ; pour Freud, dans ce travail, on peut dire que l’inconscient s’exprime comme un mot d’esprit ; dans sa lecture, Jacques Lacan en retiendra  : l’inconscient est structuré comme un langage ;

Il serait dommage de se contenter de la validation que Freud attribue à son hypothèse et de s’en tenir à sa conclusion. Son travail fourmille de détours, tout aussi intéressants ; en effet, ce qui est particulièrement intéressant dans cet ouvrage, c’est qu’il ressemble à un carnet de bord qui retrace le cheminement de sa recherche ; Freud couche par écrit le fil de sa pensée, on peut le suivre dans les méandres de sa démarche qui, du coup n’est pas linéaire ; il parait s’égarer quelquefois mais c’est là, justement, que se trouvent des pistes de travail inattendues ;

Comment S. Freud est-il amené à s’intéresser aux mots d’esprit ?

Déjà en 1895, dans « études sur l’hystérie » l’éclaircissement d’une hallucination exige de Freud «beaucoup de witz » selon ses dires ; faisant référence à l’idée d’imprégnation symbolique des expressions verbales, il l’illustre avec l’hallucination d’une patiente : Celle-ci voit ses deux médecins pendus dans le jardin à deux arbres voisins. Les associations libres qu’elle produit corrèlent cette hallucination aux évènements suivants : le soir précédent, elle s’était vu refuser par le premier médecin un médicament qu’elle réclamait. Elle espéra ensuite réussir auprès d’un second médecin qui lui refusa aussi. Alors qu’elle relate l’histoire encore fâchée, elle lâche : ces deux-là se valent, l’un est bien le pendant de l’autre ! ». L’inconscient n’est pas sérieux, il se joue de nous et de tout, c’est ce que Freud nous fait découvrir, et, malgré la remarque de son ami Fliess, qui lui objecte que « les rêveurs faisaient trop d’esprit[5]». Freud entreprend d’étudier les mots d’esprit pour les comparer avec les mécanismes en jeu dans le travail du rêve et l’imprégnation verbale dans les symptômes. Se détournant de l’hypnose qui ne donnait pas à son avis les résultats durables qu’il espérait, il expérimente ce qui deviendra la règle fondamentale de la psychanalyse : parler sans autocensure et ne rien taire de ce qui vient à l’esprit.

Au-delà de la psychopathologie, l’intérêt de Freud se porte ici sur le rapport de l’humain à sa propre parole, l’aborder au moyen d’une recherche sur les mots d’esprit est plutôt courageux ; il a conscience qu’il risque encore une fois de mettre ses lecteurs mal à l’aise en remettant en cause le sens commun et la logique ; aussi, les prévient-il dans son introduction : pour aborder son ouvrage, il va falloir se départir « d’une certaine vanité naturelle»[6].

Si S. Freud considère les mots d’esprit comme des phénomènes psychiques à étudier, le choix de son objet d’étude n’en est pas moins à relier à des motifs personnels, ainsi qu’il l’évoque dans son introduction[7]. Outre son intérêt pour les pratiques populaires, Freud témoigne aussi dans cet ouvrage de la forme du lien à sa culture d’appartenance, ce travail constituant en quelque sorte une réhabilitation de celle-ci, au moyen de ces nombreuses « histoires juives » qui alimente cet ouvrage. Aussi, pour détricoter les différents fils qui s’enchevêtrent dans ce travail, je commencerai par approcher quelques éléments de ce contexte culturel afin de bien repérer le registre de la langue.

Eléments de contexte historique et culturel de S. Freud

« Au milieu du XIXème siècle, l’aspiration des peuples européens à disposer d’eux-mêmes enflammait les esprits » écrit-elle, « si, partout en Europe, ces révolutions furent réprimées, les idées qu’elles portaient continuèrent à se propager de manière contradictoire selon qu’elles se référaient aux lumières françaises, caractérisées par la recherche d’un idéal de civilisation universelle fondée sur une pratique politique, ou au contraire à l’Aufklärung allemande, dont la vocation philosophique trouvait ses origines dans la religion réformée[8]». Ces deux conceptions, l’une universaliste et l’autre, identitaire, s’opposent toutes deux aux régimes politiques en place qui tentent de maintenir l’ordre ancien ; En Allemagne, la bourgeoisie reprend à son compte l’idée de nation pour la récupérer en la détournant, ouvrant la voie au nationalisme. Il ne s’agit plus d’unir tous les hommes entre eux mais de les regrouper en fonction de leurs particularismes.

En France, en 1871, les juifs français pouvaient devenir citoyens à part entière s’ils renonçaient à la double nationalité. Comme citoyens, ils étaient autorisés à pratiquer le culte de leur choix à titre privé. Le judaïsme devint, pour l’état français, laïque, une religion comme une autre.

En Allemagne, le processus d’émancipation soutenu par la Haskala (mouvement des lumières juives[9]) visait, quant à elle, la double appartenance allemande et juive, en prenant cependant ses distances avec la lourdeur de la tradition juive.

Le Yiddish land, espace aux contours flous, entre Pologne, Lituanie, Biélorussie, Ukraine, Roumanie et Hongrie, regroupent les communautés des juifs ashkénazes. Ils n’étaient pas reconnus comme citoyens à part entière et n’avaient pas accès à toutes les professions ; faisant l’objet de relégation, ils n’avaient d’autres choix que de se renier et se convertir ou de réussir intellectuellement pour triompher des préjugés[10]. C’est dans ce contexte que naquit le père de Sigmund Freud, Jacob Freud dans un village de Galicie, en 1815, d’un père commerçant (Schlomo Freud, le grand père de Freud) marié à Peppi Hofmann-Freud dont le père Abraham Siskind Hofmann était négociant en tissus et autres denrées de première nécessité.

Jacob, le père de Freud épousera selon la coutume du mariage arrangé, Sally Kanner, elle-même fille de négociant ; Jacob accompagnait son grand-père maternel, Siskind, dans ses voyages d’affaire au cours desquels ils subissaient les législations discriminatoires, mais il découvrait aussi un mode de vie plus moderne bien loin des traditions du shtetl. Siskind restait très attaché à l’hassidisme, Jacob, bien que respectueux des coutumes, « parfait connaisseur de la langue sacrée » s’ouvrait aux idées de la Haskala. En 1948, il fait l’acquisition d’une bible[11], dans laquelle il consignera la date du 1er novembre 1848 pour célébrer le printemps des peuples. E. Roudinesco écrit : « Devenu libéral tout en conservant l’habitude de ponctuer ses propos de nombreuses anecdotes tirées de la longue tradition de l’humour juif, Jacob en vint à négliger les cérémonies religieuses ». Mais il continuait de célébrer Pourim qui commémorait la délivrance des juifs de l’empire Perse, et Pessa’h qui célébrait la sortie d’Egypte et la fin de l’asservissement de l’homme par l’homme : « deux fêtes de la liberté auxquelles s’ancrait son attachement aux idéaux de la rébellion des peuples[12] ».

Après la mort de Sally et d’une seconde épouse Rébecca, Jacob épousera Amalia Nathanson. Elle aspirait à sortir du modèle familial traditionnel, mais ne put échapper à la condition d’épouse au foyer, elle eut huit enfants en dix ans.

Sigismund Freud, l’ainé nait en 1856. Si Amalia nourrit très tôt de grandes ambitions pour son fils ainé, son mari n’était pas en reste, lui « qui adhérait pleinement désormais aux lumières juives, pensa très tôt que son fils pourrait accéder à un autre destin que celui de ses ancêtres : non plus le négoce mais le savoir… il l’initia au récit biblique comme à un roman familial généalogique…[13] ». L’initiation de Sigismund à la langue biblique se poursuivit lors de sa scolarité, passionné dès l’enfance par la saga égyptienne de Moïse, mais aussi Samson, Saül ; David, Jacob, « Dans les textes du judaïsme, il retrouvait certains traits structuraux de sa propre famille… »

Plus tard, sa nourrice, Monika, ardente catholique, lui racontait des histoires de diables et de saints. Elle l’emmenait à l’église pour célébrer le culte de Marie. « Il découvrit ainsi la deuxième religion monothéiste, religion de la chair, du péché, de l’aveu et de la culpabilité… »

Le commerce de Jacob n’était pas prospère, il permettait tout juste de nourrir sa famille. Sigismund fut le premier de sa lignée à accéder à une autre carrière que celle de négociant. L’antisémitisme que Jacob subissait comme tous les juifs, a laissé dans la mémoire de Sigismund, un souvenir cuisant : « autrefois, lui avait dit Jacob, « un chrétien a jeté mon bonnet de fourrure dans la boue en criant : « juif, descends du trottoir » et à la question de son fils demandant ce qu’il avait fait, il avait répondu : « j’ai ramassé mon bonnet. A cette scène qui lui déplaisait, Sigmund en avait opposé une autre plus conforme à ses aspirations : celle, historique, au cours de laquelle Hamilcar avait fait jurer à son fils Hannibal qu’il le vengerait des Romains et qu’il défendrait Carthage jusqu’à sa mort. (Cf. l’interprétation des rêves).[14]»

A cette époque, les fils de la bourgeoisie juive austro-hongroise étaient contraints de se « déjudaïser » pour devenir des intellectuels ou des savants. « Pour exister en tant que juifs, il leur fallut adopter la culture grecque, latine et allemande ». Aussi, Sigmund a-t-il été confronté à cette problématique.

Dans « sur la préhistoire de la technique analytique »[15] Freud cite Ludwi Börne, écrivain juif allemand, admirateur de la révolution française et héritier de l’Aufklärung: « une honteuse et lâche peur de penser nous retient tous. Plus oppressante que la censure des gouvernements est la censure qu’exerce l’opinion publique sur les œuvres de notre esprit ». Il a visiblement résisté à cette censure, même si, concernant cette recherche sur le mot d’esprit, fourmillant d’histoires juives, il s’excuse presque de s’y consacrer, en la qualifiant de « divertissement ».

De la subjectivité d’un chercheur au social de son époque

Ce détour rapide en forme de consultation culturelle, vise à explorer le contexte socio-politique et culturel au sein duquel les lignées de S. Freud s’inscrivent ; cette mise en perspective établit le lien social direct de l’individu, ici S. Freud, au social de son époque, le « familial » n’en étant qu’un passage. Ces informations sont à même d’éclairer le choix de cet objet d’étude pour S. Freud. Je profite de cette présentation pour souligner un autre aspect passé sous silence concernant S. Freud, son intérêt majeur pour les pratiques populaires, à commencer par l’interprétation des rêves, puis l’occultisme, mais aussi les romans de gare (cf. son article sur la création littéraire et le rêve éveillé)… un intérêt, bien loin de la psychopathologie, qui rejoint plutôt une dimension anthropologique dans ce qu’il cherche à saisir quelque chose qui concerne tous les humains. Un intérêt qu’il n’a cessé de chercher à justifier ; craignait-il que ce ne soit pas assez noble pour être reconnu et accepté dans le milieu intellectuel et académique de son époque ? Ce qui m’est clairement apparu au cours de cette étude, c’est que S. Freud n’est pas seulement de culture juive, il est aussi de culture populaire.

A l’instar de ce qui se passe pour les juifs ashkénazes à son époque, S. Freud en passant de la condition de juif pauvre et exclu à la condition de « savant » intégré et reconnu – si tant est qu’il y ait réussi - doit jongler entre ces différentes références sociales et leurs corollaires : la culture populaire juive et la culture de la bourgeoisie allemande avec ses références grecque et latine. Toute son œuvre sera traversée par ces courants.

 



[1]Freud S., Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Paris, Gallimard, 1988.Collection folio essais. Cet ouvrage est paru en 1905 et traduit en français en 1930 par Marie Bonaparte.

[2] P.54

[3] Morin, Edgar. Introduction à la pensée complexe. Paris, Editions du Seuil, red 2005. 158p. coll Points, p.19

[4] Op.cit. p.61

[5] p.12

[6] Je me suis largement inspirée dans ce passage de la préface de Jean-Claude Lavie.

[7] p.54

[8] p.16, Roudinesco E., Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre, Paris, Seuil, 2014.

[9] Fondée par Moses Mendelssohn ; la Haskala s’opposait à l’Hassidisme qui voulait revaloriser la spiritualité juive

[10] William Johnston cité par E. Roudinesco

[11] Un exemplaire de Ludwig Philippson, premier traducteur en langue allemande du texte hébraïque.

[12] Op.cit. p.21

[13] Op.cit. p.24

[14] Op.cit. p.28

[15] Sigmund Freud, 1920, in Œuvres Complètes Freud. Psychanalyse. XV, p.268 ; in Roudinesco, op. Cit.

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