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Psychanalyse, psychologie, un point de vue
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Psychanalyse, psychologie, un point de vue
  • Ce blog a pour objet le partage et la transmission d’un point de vue, singulier, sur: d’une part, l’exercice de la psychologie en général et de la praxis de la psychologie du travail en particulier, et, d’autre part, une praxis de la psychanalyse…
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20 mai 2020

Les processus de formation du mot d'esprit

la fin du moi

dans le « mot d’esprit et sa relation à l’inconscient » de Sigmund Freud

Dans un article précédent, présenté en 2018 lors d’une journée d’Alters, je me suis attelée à mettre en perspective ce travail de recherche de Freud dans son contexte culturel et social, le choix de son objet d’étude étant à relier à des motifs personnels, ainsi qu’il l’évoque dans son introduction[1]. Je poursuis aujourd’hui cette lecture en abordant les éléments de définition d’un « witz » (traduit par : mot d’esprit), et en présentant l’hypothèse de S. Freud sur les processus à l’œuvre dans sa formation. Cette étude introduit l’article à suivre qui distinguera « histoires drôles » et « mot d’esprit », les premières relevant de la langue, du collectif et du culturel, le second étant l’expression d’une parole singulière, un signifiant trouvé-créé par et pour un sujet singulier.

Pourquoi revenir sur « Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient[2] » de Sigmund Freud ?

Ce n’est pas seulement parce que cet ouvrage a été une importante source d’inspiration pour Jacques Lacan, c’est aussi pour rappeler une évidence que l’on oublie : la parole est à la fois la matière première et l’enjeu de la cure analytique et que nous postulons un rapport entre la parole et l’inconscient ; on n’est loin, dans ce travail de Freud sur le mot d’esprit, de l’idée du confessionnal avancée par Michel Foucault dans « les aveux de la chair ».

Ces sujets d’étude sont encore des questions de recherche, tout en se situant au cœur de la clinique : entendre la parole, ici et maintenant, c’est entendre « l’ingérence de l’inconscient dans la formulation»,[3]une parole qui détourne la langue par effraction. C’est donc un souci clinique qui motive le retour à la question de la parole, souci à mettre en perspective avec les hypothèses qui distinguent langage, langue et parole[4]; j’essaierai, dans le fil de ce travail, de dégager ces différents registres que S. Freud n’a pas clairement distingués mais dont il nous fournit les matériaux.

L’idée, qui guide la recherche de Freud sur les mots d’esprit, est de chercher dans leur structuration les mécanismes en jeu, dont il postule qu’ils sont les mêmes dans le rêve et les formations qui résultent de l’expression de l’inconscient. En introduction, il écrit : « Les mots sont un matériau plastique avec lequel on peut faire toutes sortes de choses[5]». C’est en 1905, qu’il consacre aux mots d’esprit une recherche qui aboutit à plus de 300 pages. Jean-Claude Lavie nous avertit dans la préface : « le domaine de cette étude déborde largement du cadre des maladies névrotiques, auxquelles certains voudraient voir la psychanalyse se cantonner.[6]» Aussi, cette recherche s’avère, très différente de celle qu’il mène parallèlement, « les trois essais sur la théorie sexuelle », elle vise à dégager les processus inconscients qui produisent l’émergence d’une parole.

Ne pensant pas que tout ait été dit concernant au sujet de la parole, je constate surtout que ce concept est largement dévoyé ; ce retour aux fondamentaux a donc aussi pour visée de préciser ce que « parole » peut vouloir dire pour une clinique analytique. Aussi, pouvez-vous vous amuser (ce travail de Freud nous y invite, d’une certaine manière) à remplacer « mot d’esprit » par « parole » tout au long de cette présentation.

Eléments de définition : Comment traduire le terme allemand « witz » ?

Le mot d'esprit n'est pas un jeu de salon, ce n'est ni le comique ni la caricature ; préciser ce qu'est le comique permet à Freud, en comparaison, de se situer et délimiter le champ du mot d'esprit :  « Le comique se comporte autrement sur le plan social, deux personnes lui suffisent : celle qui trouve la chose comique et la seconde : celle en qui cette chose est trouvée » [7] alors que le mot d'esprit implique nécessairement une tierce personne ; mais surtout, « le mot d'esprit on le fait, le comique on le trouve » dans des personnes, des objets, des situations, alors que le mot d'esprit ne concerne que les mots de la langue ;

Le mot d'esprit n'est pas non plus le naïf, bien que ce soit la forme du comique qui se rapproche le plus du mot d'esprit ; le naïf n'a pas d'inhibition et il ne sait pas qu'il n’en a pas ; c'est la comparaison que fait celui qui l'écoute, entre sa propre inhibition et l'absence manifeste de celle-ci chez l’autre (le naïf), qui déclenche le rire ou le sourire chez le premier ; l'absence d'inhibition chez le naïf soulage l’autre, celui qui écoute et qui en souffre ; la levée de l'inhibition ainsi produite chez lui, n'a pas besoin dans ce cas d'une opération de détournement, elle se fait directement[8] donc le mot d'esprit ne relève pas du comique ni du naïf.  Le caractère involontaire de cette idée qui vient, souligne le fait qu'il ne s'agit pas non plus de « faire de l'esprit ».

Mot d'esprit, jeux de mots, plaisanterie, blague, Histoire drôle… Comment traduire Witz ? Difficile, en effet, à traduire quand, comme le note Jean-Claude Lavie dans sa préface, witz  « est autant le mot d’esprit que la capacité à en faire. Celle-ci est une faculté langagière bien particulière, qui triomphe des entraves habituelles de l’expression[9]». Comme souvent dans la langue allemande « le mot désigne aussi bien une faculté, un tour d'esprit que son produit » précise JB Pontalis, en rajoutant en référence à la tradition des romantiques allemands c'est aussi « un type d'esprit ou peut être l'esprit-type , celui qui saisit d'un coup d’œil, et à la vitesse de l'éclair…. les relations nouvelles, inédites, bref créatrices qu'il est capable de mettre au jour ».

J. Lacan a traduit Witz par « trait d'esprit » ; il s’intéressera davantage au mot d’esprit « famillionnaire » plutôt qu’à « l’histoire du chaudron » soulignant ainsi l'invention d'un signifiant dans cette trouvaille qui jaillit comme la fulgurance de l'éclair : Certains mots d'esprit sont plus près du lapsus réussi que de l'histoire drôle que l'on se répète dans les groupes d'amis.

Dans la préface, Lavie met l’accent sur le mot d’esprit, dans ce qu’il exprime une parole, alors que dans la note liminaire Jean Bertrand Pontalis focalise l’attention sur l’esprit du mot, qui souligne, à mon sens, plutôt l’aspect de la singularité, « Esprit » renvoyant à la nouveauté, la créativité[10].

Dans ce travail Freud a effectué un énorme travail de définition et de catégorisation des phénomènes relevant de l'humour ; cependant pour la nécessité de la démonstration et peut-être pour d'autres raisons il n'a pas poussé jusqu'au bout cette démarche : en effet il n'a pas opéré de distinction nette entre le mot d'esprit qui jaillit comme un lapsus réussi et l'histoire drôle qui se répète de bouche à oreille au sein d'un groupe social identifié ; c'est cette piste de travail que je vais tenter d'ouvrir en distinguant les registres de la langue et ceux de la parole;

Mais avant, rappelons l'hypothèse de travail de Freud et regardons comment il analyse et décompose les processus à l’œuvre dans la construction d'un witz, qu'il soit histoire drôle ou trait d'esprit puisque Freud s'est servi de tous ces matériaux pour tester son hypothèse.

Analyse des processus psychiques à l’œuvre dans la formation du mot d’esprit : la démarche de recherche de S. Freud

Dans le chapitre consacré à la technique du mot d'esprit, Freud cherche à démontrer son hypothèse, à savoir : le mot d'esprit utilise les mêmes processus psychiques que ceux qui sont à l’œuvre dans le rêve, la condensation et le déplacement. On pourrait s'arrêter là et se passer d'étudier ce chapitre ; cependant il est intéressant de l'aborder pour deux raisons : la première c'est que Freud prend le temps de dérouler, pas à pas, la méthode de recherche qui l'emploie et la rend ainsi transparente, la deuxième, c'est que les techniques utilisées par les mots d'esprit qu'il présente, offrent beaucoup plus de possibilités qu'il serait dommage de réduire à la condensation et au déplacement . C'est pourquoi je prends le temps d'en donner une idée en gardant à l’esprit que chacune des « techniques » analysées, révèle un processus d’expression langagière de l’inconscient, si l’on suit l’hypothèse de S. Freud et celle de J. Lacan à sa suite.

Pour étudier la technique du mot d’esprit, Sigmund Freud reprend une nouvelle de l'écrivain Heinrich HEINE, « les bains de Lucques » ; dans cette nouvelle H. Heine met en scène un personnage savoureux, Hirsch Hyacinthe de Hambourg, placeur de billets de loterie et exciseur de cors aux pieds. Celui-ci se glorifie des relations qu’il entretient avec le riche baron Rothschild et dit pour finir : j’étais assis à côté de Salomon Rothschild et il m’a traité comme son égal, d’une manière tout à fait famillionnaire.

Dans un premier temps, Freud s’assure que les propos tenus par Hirsch Hyacinthe relèvent bien d’un mot d’esprit, en même temps, il se pose la question de savoir ce qui produit le caractère spirituel de ce mot : de deux choses l’une, ou bien c’est la pensée exprimée dans la phrase qui présente le caractère de ce qui est spirituel, ou bien l’esprit est attaché à l’expression même de la pensée, telle qu’on la trouve dans la phrase. Quelle est la pensée exprimée ? C’est l’idée que Rothschild a traité Hyacinthe d’une manière familière, comme s’il était, lui aussi, un millionnaire… L’idée une fois décomposée, ne produit pas d’effet particulièrement drôle. Dans cet exemple le caractère spirituel n’est donc pas attaché à la pensée. C’est bien la forme qui produit l’effet spirituel. Cette « technique d’expression propre à ce mot d’esprit est intimement liée à la naissance du mot d’esprit puisque le caractère distinctif et l’effet du mot d’esprit disparaissent dès qu’on lui substitue autre chose ». Là-dessus Freud se dit d’accord avec Lipps et Fischer, pour attacher de la valeur à la forme langagière du mot d’esprit.

En quoi la technique de ce mot d’esprit consiste-t-elle donc ? Qu’est-il arrivé à la pensée, par exemple dans cette version, pour qu’elle devienne un mot d’esprit ? Deux opérations se produites : un raccourcissement et une modification. L’idée « être traité de manière familière autant qu’un millionnaire est capable de faire (ou malgré le fait qu’il soit millionnaire et pas moi… ?) » a été exprimée dans ce seul mot « famillionnaire » ; l’expression de l’idée est raccourcie, le mot inventé fournit le caractère spirituel et l’effet hilarant de ce mot d’esprit[11]. C’est une force comprimante qui produit une condensation et la formation d’un mot mixte, qui se substitue à plusieurs idées. « Et c’est ce mot mixte famillionnaire, incompréhensible en lui-même, mais instantanément compris et identifié comme un mot plein de sens dès qu’il apparaît dans son contexte, que reposent les faits irrésistiblement hilarants produit par le mot d’esprit ». p. 63

Dans le chapitre sur la technique du mot d’esprit, Freud prend visiblement plaisir en énonçant quelques-uns des mots d’esprit de cette nature, ce qui lui sert à avancer sur une première catégorisation : Les mots d’esprit fondés sur une condensation accompagnée de la formation d’un mot mixte. Il donne un autre exemple : « après avoir mené jusque-là joyeuse vie à l’étranger, un jeune homme rentre au pays et rend visite à un ami qu’il n’a pas vu depuis assez longtemps. Celui-ci remarque avec surprise une alliance au doigt de son visiteur. Quoi s’écrit-il vous êtes marié ! c’est vrai soupir l’autre, «épousantable mais vrai ! ».[12]

Dans cette catégorie de mots d’esprit Freud va rajouter les mots d’esprit fondé sur la condensation accompagnée d’une modification: pour parler d’un homme qui se conduit comme une bête… il dit à son interlocuteur : « la vanité ? Oui, c’est l’un de ces quatre talons d’Achille… ».

Les auteurs qui ont étudié précédemment le mot d’esprit et auxquels Freud se réfère, soulignent le travail de concision que Freud identifie comme condensation, en tant que processus central dans cette forme de mots d’esprit. Or Freud estime : « la concision n’est pas spirituelle en elle-même, sinon toute formule laconique serait un mot d’esprit.… La concision propre au mot d’esprit serait bien souvent le résultat d’un processus particulier, processus qui laissait dans l’énoncé du mot d’esprit une seconde trace, la formation substitutive. Freud se pose alors la question de savoir si la condensation est un processus inhérent au mot d’esprit ? Pour cela, il utilise une nouvelle histoire : « dans un salon parisien, on fit un jour entrer un jeune homme qui était, disait-on, parents du grand Jean-Jacques Rousseau et qui portait lui-même ce nom. Au surplus, il avait les cheveux roux. Or il se conduisit si maladroitement que la maîtresse de maison fit alors à celui qui l’avait introduit cette remarque très critique : on m’avait fait connaître un jeune homme roux et sot, mais non pas un Rousseau ». Dans ce cas le mot d’esprit et simplement attaché à l’homophonie avec un simple raccourci. On ne trouve pas la condensation accompagnée de la formation d’un substitut. La technique de ce mot d’esprit consiste en la double utilisation du même mot, une fois comme un tout, puis décomposé en ses syllabes, comme une charade. Ce que Freud retient c’est le processus de décomposition qui permet de produire un sens différent.

Le mot d’esprit ne se limite pas en conséquence à la condensation. Il existe donc différents procédés à l’usage du mot d’esprit, auxquels S. FREUD rajoute l’inversion des termes, avec l’utilisation multiple du même matériel, comme dans cette histoire : « le couple X vit sur un assez grand pied. Aux dires des uns, le mari, ayant gagné pas mal d’argent, disposerait maintenant d’un joli petit matelas ; selon d’autres, la femme, ayant disposé d’un joli petit matelas, aurait gagné pas mal d’argent ». [13] On peut aussi trouver un mot d’esprit construit avec une petite modification mais sans condensation et sans formation substitutive: « Entendant un jour un Monsieur qui, bien que lui-même juif de naissance, tient des propos haineux sur les juifs, Monsieur N. déclare : «Monsieur le conseiller, j’étais au courant de votre antésémitisme, mais j’ignorais votre antisémitisme ». Ici, la modification ne touche qu’une unique lettre, il n’y a pas de condensation : on trouve dans ce mot d’esprit tout ce qui peut être dit.

Certains mots d’esprit ne fonctionnent qu’au regard du contexte de situations dans lequel il s’exprime. Exemple : « Comment ça marche ? » Demanda un jour l’aveugle au paralytique. « Comme vous le voyez», répond le paralytique à l’aveugle[14]

Nombre de ces techniques ont déjà été mises à jour par les auteurs qui ont précédés S. FREUD sur cette question. Ce sur quoi S. FREUD insiste et présente comme sa nouveauté, dans la lecture qu’il en fait, c’est la dimension de l’expression langagière, en particulier en ce qui concerne « l’utilisation multiple », les double-sens. Ex : « Lorsque Napoléon III accéda au pouvoir, son premier acte fut de confisquer les biens de la maison d’Orléans, à cette époque, relate S. FREUD, on fit le jeu de mot suivant : « C’est le premier vol de l’aigle»[15].

Il existe aussi des mots d’esprit qu’on peut prendre dans leur sens plein ou dans leur sens vide: « deux juifs se rencontrent aux abords d’un établissement de bains. « As-tu pris un bain ? demande le premier. « Pourquoi ? » demande l’autre en retour. « Est-ce qu’il en manque un ? ». Ici, le malentendu comique repose sur l’utilisation du verbe prendre dans un double sens : son « sens plein » et un « sens vide », insensé.

Après avoir étudié un très grand nombre de mots d’esprit et analysé les techniques[16] que chacun d’eux emploie S. Freud doute de la possibilité de dégager une structuration commune à toutes et s’interroge sur l’universalité de la condensation dans le mot d’esprit ; S. Freud l’étend finalement à tous les mots d’esprit: « L'utilisation du même matériel n'est qu'un cas particulier de la condensation et (que) le jeu de mot n'est rien d'autre qu'une condensation non accompagnée de la formation d'un substitut ; la condensation demeure la catégorie qui englobe toutes les autres ». C’est à partir de cette redéfinition de la condensation, conçue dès lors de manière élargie, qu’il va soutenir la suite de son raisonnement ; la condensation est motivée par une tendance à l’économie : nous faisons l’économie d’une démonstration.

A l’appui de plusieurs histoires[17], S. Freud met en exergue un autre processus présent dans le mot d’esprit : le détournement de sens : « je propose de l’appeler « déplacement », car elle est essentiellement constituée par le détournement de l’accent psychique vers un thème autre que celui qui a été amorcé »[18]; S. Freud reprend l’exemple du bain cité plus, pour illustrer ce détournement de sens grâce à l’utilisation de la polysémie d’un mot[19]. Ce travail de déplacement est souvent maquillé d’une apparence de logique implacable, la « façade du mot d’esprit » ;

Les catégories qu’il explore l’amène à deux grands axes sur lesquels deux pôles s’opposent : le son et le sens d’une part, et les tendances du mot d’esprit : tendancieux ou innocents.

-       Les mots d’esprit fondés sur le son et ceux fondés sur le sens

Le premier axe oppose les mots d’esprits fondés sur des mots, sur l’homophonie, ou sur ce qu’il appelle encore des sonorités[20], d’une part, et les mots d’esprits fondés sur des pensées, d’autre part. Autrement dit il oppose les mots d’esprits fondés sur le son et ceux fondés sur le sens. Dans le premier cas, Freud parle de « sens vide » (apparemment vide de sens), dans le second, de « sens plein ».[21]

Dans la catégorie des mots fondés sur le sens il faut intégrer des mots d’esprit qui « affichent sans rien voilé quelque chose d’absurde, un non-sens, une stupidité.[22]

-       Le non-sens n’est pas hors sens

L’absurde, le non-sens sont souvent utilisés pour dénoncer quelque chose de stupide. Ainsi, le sens jaillit du non-sens exprimé pour révéler un autre non-sens. (Les Shadocks nous en donnent un excellent exemple aujourd’hui : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ».

Cependant, S. Freud trouve aussi des mots d’esprit utilisant le non-sens « sans lui fixer comme fin de figurer un autre non-sens [23] ». Ainsi, Lichtenberg s’étonne que « les chats aient le pelage percé de deux trous à l’endroit précis où se trouvent leurs yeux » (dans ce registre, on peut se référer aujourd’hui aux textes des chansons de Bobby Lapointe qui a excellé en la matière) ;

Avec le déplacement et le non-sens, les mots d’esprit s’écartent du raisonnement normal, ils utilisent une autre logique. D’autres fautes de raisonnement trouvent une même utilisation, avec une apparence la logique. Cette faute tient au fait que le locuteur associe deux actes qui n’ont rien à voir entre eux. Cette association se construit à partir de l’utilisation du double sens d’un terme[24].

C’est dans la note de bas de page 129, que S. Freud rajoute en 1912, « une technique de non-sens similaire se présente lorsque le mot d’esprit veut maintenir entre deux choses une corrélation dont il apparait qu’elle est annulée par les conditions particulières de son contenu. C’est le cas du « couteau sans lame auquel il manque le manche » de Lichtenberg.

-       Les mots d’esprit tendancieux ou innocents

Le deuxième axe distingue les mots d’esprits « tendancieux » et les mots d’esprits « abstraits » qu’il préfère appeler « innocents ». Les premiers sont adressés, ils visent des personnes (du registre de l’objectal) ou des institutions (le mariage notamment, mais aussi les rapports sociaux fondés sur l’argent : le riche et le pauvre, sur le statut social impliquant une hiérarchisation : le professeur et l’élève…) Les seconds (innocents ou abstraits) concernent des pensées générales sur l’existence, non adressés, ils sont anobjectaux, non adressés.

En résumé

Les techniques utilisées dans la production d’un mot d’esprit sont multiples :

  • Condensation accompagnée de la formation d’un mot mixte ou d’une modification
  • Ces condensations présentent toujours une formation substitutive.
  • Mais aussi : l’homophonie. (Sans formation substitutive)
  • La double utilisation du même mot, une fois comme un tout, puis décomposé en ses syllabes, comme une charade. » Ce que Freud retient c’est le processus de décomposition d’un mot qui permet de produire un sens différent
  • L’inversion des termes, avec l’utilisation multiple du même matériel,
  • Certains mots d’esprit ne fonctionnent qu’au regard du contexte de situations
  • « L’utilisation multiple », les double-sens.
  • Le détournement de sens : le « déplacement », grâce à l’utilisation de la polysémie d’un mot. Ce travail de déplacement est souvent maquillé d’une apparence de logique implacable, la « façade du mot d’esprit ».  
  • L’absurde, le non-sens d’où jaillit un autre non-sens donnant du sens à l’ensemble.
  • À contrario, d’autres mots d’esprit affichent sans rien voilé quelque chose d’absurde, un non-sens.
  • L’allusion indirecte et la figuration par le contraire
  • Il rajoutera plus tard, l’utilisation d’un détail.
  • Ces techniques, ramenées par Freud aux processus de condensation et de déplacement, se répartissent sur le son et le sens d’une part, les tendancieux et les innocents d’autres part.

Si l’inconscient est structuré comme un mot d’esprit, les motions[25] inconscientes peuvent s’exprimer par les différents procédés que celui-ci utilise ; la « parole » qui cherche à se faire entendre, et à fortiori dans le cadre de la cure, emprunterait donc les mêmes processus.

Reste, dans un prochain article, à distinguer le mot ou le trait d’esprit propre à un sujet singulier, et, l’histoire drôle, produit d’un groupe culturel. Dans le premier cas, il s’agit d’une création personnelle relevant de processus psychiques inconscients, dans le second, d’une reproduction culturelle plus ou moins insue.

Catherine Jobert, Psychanalyste

Retranscription de la présentation orale du 28 février 2020, Journée de l’Association Lieu de Transmission et d’Elaboration des Ruptures Sociales



[1] p.54

[2]Freud S., Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Paris, Gallimard, 1988.Collection folio essais. Cet ouvrage est paru en 1905 et traduit en français en 1930 par Marie Bonaparte.

[3] p.14

[4] hypothèses mises au travail dans l’association Alters, sur la proposition de Marc Thiberge

[5] p.87

[6] p.30

[7] p 323

[8] exemple p 326 à 328

[9] P.13, préface de J.C. Lavie

[10] P.33 Note liminaire, J.B. Pontalis

[11] Famili de familière, milli de millionnaires, ère de familière, ionnaire de millionnaires, se superposant se combinent pour donner famillionnaire.

[12] Et Freud de rajouter : ce mot d’esprit est excellent : en allemand deux composantes se trouvent rassemblés dans le mot «trauring » : à savoir le mot «ehering » -alliance- tranS. Freudormer trauring anneau de mariage et l’expression « traurig, aber wahr, « triste mais vrai ».p.65

[13] Malgré la connotation clairement misogyne de cette histoire, je l’ai conservé pour les nécessités du développement…

[14] .p. 87

[15] Les jeux de mots de cette catégorie qui présentent un caractère sexuel (que S. FREUD nomment Jeu de mots équivoques) ne sont qu’une sous partie de la catégorie : un double sens accompagné d’une allusion. (À noter que Freud n’accordera pas plus de place que cela, à ces jeux de mots équivoques) Pour d’autres ex de ce genre: p.91-95

[16] Liste des techniques p.98

[17] le bain, le veau d’or, le saumon à la mayonnaise p.110-115

[18] p.115 

[19] Ou le shadchen p.120

[20] p.105

[21] p. 87 et p. 111

[22] p.122

[23] p.126

[24] Ex : p. 128 Un monsieur entre dans un salon de thé…

[25] Motion pulsionnelle : Terme utilisé par Freud pour désigner la pulsion sous son aspect dynamique, c’est-à-dire en tant qu’elle s’actualise et se spécifie en une stimulation interne déterminée…Notons que « motion pulsionnelle » s’inscrit dans la série des termes psychologiques usuels motif, mobile, motivation qui, tous, font intervenir la notion de mouvement. (Note de bas de page des traducteurs).

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