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Psychanalyse, psychologie, un point de vue
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Psychanalyse, psychologie, un point de vue
  • Ce blog a pour objet le partage et la transmission d’un point de vue, singulier, sur: d’une part, l’exercice de la psychologie en général et de la praxis de la psychologie du travail en particulier, et, d’autre part, une praxis de la psychanalyse…
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13 mai 2020

Introduction à l'expérience du "Groupe Balint"

FEUILLES

L’expérience princeps et questions d’actualités

Le retour sur l’expérience des groupes Balint peut-il nous aider à retrouver repères et sens à l’heure où la médecine, les professions du soin comme celles du social, sont l’objet de tentatives d’encadrement de plus en plus contraignant, par l’inflation des procédures et des contrôles « qualité », au moment où « l’épuisement professionnel » dans ces professions s’expriment sous de multiples formes ? A quelles conditions, avec quelles lectures actualisées ?

Après la présentation de l’expérience princeps, je reprendrai quelques aspects de celle-ci pour les questionner d’un point de vue singulier. Mais, dans un premier temps, quelques éléments de présentation de Michael Balint :

Mihaly Bergsmann, alias Michael Balint, psychiatre et psychanalyste, d’origine hongroise est né en 1896 à Budapest, il meurt en Angleterre en 1970. Tour à tour influencé par S. Ferenczi à Budapest et K. Abraham à Berlin, il travaille aussi avec M. Klein. En 1931, la polyclinique de Budapest est créée, Ferenczi en est le premier directeur. Balint lui succédera. «  L’école de Budapest » est caractérisée par la prévalence du travail collectif et non sur l’enseignement d’un seul. Le travail de chacun alimente cet espace de travail ouvert, dans un esprit marqué par la liberté de penser et d’expérimenter, de reconnaitre ses erreurs, de les analyser et d’en tirer enseignement.

Mais c’est en Angleterre que Balint expérimente cette la méthode du « groupe Balint » testée pour la pratique médicale et étendue au travail social avec la collaboration de Madame Enid Balint ; elle s’est ensuite généralisée à d’autres métiers en prenant en compte la spécificité de chaque discipline.

L’expérience dont il est rendu compte dans  « le médecin, son malade et la maladie [1]» publiée en 1957, s’est étalée selon les groupes sur 2 à 3 ans. Elle a fondé les « groupes balint » ; ce livre présente une partie des résultats d’une recherche effectuée par un petit groupe d’une dizaine de médecins et d’un psychiatre.[2]Cette expérience a bénéficié du support institutionnel de la Tavistock Clinic[3]qui lui a permis de développer diverses collaborations : le groupe « Balint » lui-même est articulé, en parallèle, avec un programme de formation assuré par deux médecins de la clinique et fournissant des apports théoriques à ce travail de recherche. La collaboration s’établit aussi en fonctionnement de réseaux : dans certaines situations, certains patients ont été adressés à des médecins et des psychologues de la clinique. Le dispositif est complété par un « contrôle » du groupe Balint assuré par Madame Enid Balint, portant sur les évolutions du groupe de médecins et sur l’expérience conduite par Michael Balint.

Il est donc à noter qu’un important dispositif s’est ainsi construit, assurant un cadre de travail, des relais possibles, articulant les interventions de différentes compétences et fonctions ; le groupe balint est un groupe ouvert sur son environnement, susceptible d’être le point de départ d’initiatives, créant des réseaux d’adresses, de formation ou de soins.

Le groupe « Balint », un dispositif de recherche formative

Le « groupe balint », en lui-même est, donc, d’abord une recherche, une recherche de « nature particulière » qui porte sur la pratique médicale et investigue de manière le plus détaillée possible la pratique quotidienne de ces médecins.Deux finalités de recherche ont été pris en compte : la première vise à étudier les enjeux et les effets de la pratique médicale : « notre but principal était d'examiner aussi complètement que possible, la relation toujours changeante entre médecin et malade c'est-à-dire d'étudier la pharmacologie du « médecin en tant que remède[4]». La deuxième visée consiste à inventer une méthode de formation continue et active pour des médecins sur ces questions[5]« L’acquisition de l’aptitude psychothérapeutique ne consiste pas seulement à apprendre quelque chose de nouveau, mais implique aussi inévitablement un changement limité bien que considérable, dans la personnalité du médecin »[6]…; ce changement porte essentiellement sur la capacité d’écouter ; il ne peut pas s’acquérir à coup de cours magistraux, de conférences, histoires de cas et exposés de malades… Les tentatives faites en ce sens, signale M. Balint, ont échouées: « on a totalement oublié que la psychothérapie est surtout, non pas une connaissance théorique mais une aptitude personnelle »… « la seule manière d’acquérir une nouvelle aptitude est de s’exposer à la situation réelle et d’y apprendre à reconnaître les problèmes et les méthodes qu’on peut employer pour les traiter… ». Ce postulat est le fondement de la démarche de Balint, il oriente la conduite du Balint. Autrement dit, le fait de parler d’une situation rencontrée avec un patient ne vise pas à poser un diagnostic psychiatrique concernant ce patient. Dans la pratique de certains Balint, on penche trop souvent sur cette pente qui permet, in fine, d’éviter de parler de ce que l’on fait ; il ne s’agit pas d’exposer une situation mais de s’exposer, de parler de ses difficultés, de sa pratique professionnelle.

Il n’en reste pas moins que M. Balint a intégré dans son dispositif des temps d’apports théoriques, comme éléments informatifs pouvant discuter les pratiques ; si ceux-ci sont restés minimes, ils ont été amenés parallèlement et en dehors du temps du groupe Balint lui-même. Toute recherche ne peut se faire hors de toutes références théoriques, permettant, à minima, d’expliciter ses hypothèses et d’énoncer ses postulats. L’ensemble de son ouvrage est traversé par une conception de la fonction médicale, de la posture du médecin, il indique aussi sa conception de la « maladie » et de la fonction de celle-ci pour le malade. Ces conceptions forment le corpus théorique issu de cette recherche ; Ce qui a permis aussi, dans le même coup, de fournir aux pratiques expérimentées une orientation de travail qui fait cadre, contexte d’énoncés, sans lesquels on ne peut les élaborer. Pour autant ce cadre théorique doit rester ouvert, proposé comme point de départ, point d’appui et non comme une hypothèse à valider coûte que coûte. A cette condition, l’expérience prend la consistance d’une recherche où théorie et pratique s’engendrent et se remanient réciproquement. En ce sens, la recherche action produit un effet de formation.

Les trois concepts « le malade », « la maladie », « le médecin »

L’objet de la recherche qu’il propose, porte sur la relation médecin-malade-maladie ; il s’agit de « …décrire certains processus de la relation médecin- malade (les effets secondaires imprévus et indésirables du remède « médecin ») qui causent des souffrances inutiles à la fois au malade et à son docteur, de l'irritation et de vains efforts[7]»;Cette recherche s’appuie sur une hypothèse : La manière dont la consultation est conduite est déterminante, « le médicament le plus utilisé en médecine générale est le médecin lui-même. Ce qui importe ce n’est pas le médicament mais la manière dont il est prescrit[8] ». Concernant la maladie, le postulat de départ repose sur l’idée selon laquelle toute maladie constitue une « solution » à un problème vécu comme insoluble. Balint formule l’hypothèse d’une maladie organique qui se déroule en deux temps : de la maladie inorganisée à la maladie organisée. Le malade fait une offre de maladie à son médecin. « Si le médecin a l'occasion de les voir dans les premières phases du processus de la maladie -c'est-à-dire avant qu'ils ne se fixent à une maladie précise et « organisée » - il peut se rendre compte que de tels patients offrent, pour ainsi dire, ou proposent diverses maladies, et ils continuent à en offrir de nouvelles jusqu'à ce que survienne, entre eux et le médecin, un accord au terme duquel l'une de ces maladies est admise comme justifiée par les deux parties. Dans certains cas, le stade « inorganisé » est bref et les malades en viennent vite à « organiser » leur maladie. D'autres semblent persister à ce stade et bien que leur maladie soit partiellement organisée, ils continuent à en offrir de nouvelles à leur médecin ».

Il conçoit la maladie dans ses différentes dimensions : biologique, culturelle et individuelle, « le choix de maladies utilisables par chacun est déterminé par sa constitution, son éducation, sa situation sociale, ses peurs conscientes ou inconscientes, l'image qu'il se fait des maladies… » Le médecin peut « choisir » la maladie parmi celles qui lui sont offertes, toutefois il existe toujours plusieurs offres ou propositions. La réponse que le médecin donnera à ces offres est l’élément essentiel du « remède médecin ». La maladie actuelle peut renvoyer à une « maladie de base » dont le défaut fondamental trouve son origine dans les vestiges des expériences précoces. Cette maladie de base n’est pas guérissable mais cicatrisable, la connaitre, c’est connaitre ses limites et il reste à s’y adapter le mieux possible. Cependant, le tiers des patients présentent un examen somatique normal : les troubles sont fonctionnels. La tâche du médecin sera de comprendre ces conversions; pour cela il doit pouvoir accueillir la demande tout en se maintenant dans le cadre son métier comme « médicament-médecin ». Ce savoir-faire s’obtient par la pratique qui engendre un « changement de personnalité » qui participe à la construction de la posture professionnelle du médecin ; c’est avec l’expérience que le médecin accède à la posture de se laisser guider par le malade et non par la maladie. Il s’agit donc de passer de la dyade médecin-maladie, à la relation dynamique médecin-malade-maladie.

Fonction médicale, champ « psychothérapique » de la consultation et limites

L’objectif de Michael Balint est de proposer au médecin des alternatives utiles pour qu’il puisse aider ses patients à parler de leurs problèmes et afin de trouver une autre expression que celle de la maladie. L’idée est d’étendre le champ du travail du médecin à l’écoute, ce qu’ils appellent la « petite psychothérapie ». M. Balint le résume ainsi: la maladie fonctionnelle du patient n’est pas le problème, et à fortiori, encore moins un problème psychologique. Une maladie fonctionnelle signifie que le patient a eu un problème qu’il a essayé de résoudre avec une maladie… c’est ce que le médecin doit découvrir… Cependant, il rajoute : « bien qu’au point ultime, nous nous intéressions au problème originel, notre premier souci est celui de la maladie. Certains médecins l’oublient et pensent que leur tâche immédiate est de découvrir le conflit originel. Jamais auparavant on n’a essayé aussi souvent que de nos jours de réaliser cette espèce de tour de force psychologique, véritable violation de la vie privée du patient»[9].

En conséquence, si le médecin est dans une situation privilégiée pour apporter une aide considérable aux patients qui s’adressent à lui, celle-ci sera d’autant plus appropriée qu’il aura pu construire une posture professionnelle clairement inscrite dans sa fonction médicale.

La question de la limite de la clinique psychothérapique est régulièrement posée par les médecins réunit dans cette première expérience « Balint » : Jusqu’où aller et quand s’arrêter ? Michael Balint renvoie la question au médecin : jusqu’où pense-t-il pouvoir aller ? A-t-il le désir de proposer une psychothérapie ? S’y est-il préparé, s’est-il « formé » ? Ou bien l’ampleur des problèmes soulevés le conduisent-ils à orienter le patient vers un spécialiste qui pourra y consacrer le temps nécessaire? Michael Balint remarque que le patient est souvent à l’initiative de l’arrêt des entretiens à visées psychothérapeutiques proposés par le médecin et acceptés, un temps, par lui ; un peu comme si le patient disait, « ça va mieux, merci, on peut s’arrêter là ». Dans ce cas, le travail thérapeutique a assumé une fonction d’adaptation. D’autres, pour qui le malaise ne s’est pas vraiment dissipé,  reviennent et la question se pose de savoir s’il faut « réinjecter » une dose de psychothérapie ou s’il faut laisser la crise se déclarer et orienter pour un travail de fond ?[10]

L’ouvrage « le médecin, son malade et la maladie » relate le cheminement des médecins, leurs questionnements et les prises de positions qui en résultent : comment faire pour que le patient suive les conseils ? Pourquoi le patient ne peut-il être réconforté ? Comment pratiquer la psychothérapie ? La fonction médicale se trouve peu à peu remaniée. Si on admet l’hypothèse que le médecin fait office de médicament, alors il lui appartient de savoir à quelle dose « se prescrire ». On apprend à se départir de la « fureur thérapeutique » qui sévit toujours au détriment du patient comme du médecin, alerte M. Balint. Il s’agit plutôt de développer un diagnostic global, qui s’inscrit dans une médecine de la personne et non une médecine réduite à un diagnostic symptomatique. Au détour des situations présentées et du questionnement des médecins, M. Balint n’hésite pas à démonter des idées préconçues : Le conseil et le réconfort, trop fréquemment utilisés ne sont pas à « administrer » systématiquement :  « ne jamais conseiller ou rassurer un patient avant d’avoir mis à jour le problème véritable. Il arrive le plus souvent que lorsque le vrai problème est mis à jour, le patient soit capable de le résoudre sans les conseils et le réconfort du médecin [11]». M. Balint procède à l’analyse critique de l’établissement du diagnostic : si celui-ci se résume à une « opération unilatéralement effectuée par le médecin »… le patient peut le subir passivement, avec une bonne volonté, et devenir rapidement un objet d’investigation… on pourrait objecter qu’il est impossible de d’établir un diagnostic physique correct sans prendre une anamnèse médicale exacte et que le relevé de l’anamnèse médicale requière la collaboration entière du patient… et qu’il faut pour cela apprendre à poser les questions adéquates…mais, prendre une anamnèse consiste essentiellement à recueillir les réponses à un ensemble de questions sélectionnées. Or, ce qu’on observe et que Michael Balint relève est, bien plutôt que : « dans la pratique, tout ce que le patient essaye de dire à son médecin et qui ne concerne pas directement ces questions est rejeté le plus souvent comme hors du sujet », alors que la première intervention du médecin pour Michael Balint consiste à écouter.

Mais de quelle écoute s’agit-il ? « … à mesure qu’il découvrira en lui la capacité d’écouter ce qui, chez son patient, est à peine formulé, car le patient lui-même n’en est qu’obscurément conscient, le médecin commencera à écouter un même type de langage en lui-même. Pendant ce processus, il découvrira bientôt qu’il n’existe pas de questions nettes et directes qui puissent mettre à jour le type d’information qu’il cherche [12]». Si le médecin n’écoute pas son patient, s’il ne le prend pas au sérieux, le risque du passage de la maladie inorganisée à la maladie organisée augmente. S’il n’est pas écouté, si son malaise n’est pas pris au sérieux, le risque d’une conversion est pris, « le patient exigera d’être pris au sérieux au niveau organique »[13]. C’est d’ailleurs peut-être pour cela, que certains patients ne se sentent pas soulagés lorsque leurs médecins leur apprennent qu’ils n’ont rien, en même temps que d’autres prennent étonnamment bien l’annonce d’une maladie grave, sérieuse. Ecouter nécessite de s’écouter : « écouter en nous ces légères réactions émotionnelles lorsque nous traitons nos patients. Ceci ne signifie pas qu'il faille donner libre cours à nos réactions émotionnelles ou même les exprimer; mais qu'il faut que nous les « écoutions » et que nous tâchions ensuite d'évaluer l'information comme faisant partie de l'ensemble de la relation entre le patient et nous-mêmes »[14]. L’écoute produit ses effets, entre autres, celui de « sentir » que c’est le moment d’engager l’approche thérapeutique du problème amené par le patient.

Certains participants interrogent la durée de l'entretien ; Il est fait remarquer que celui-ci ne doit pas s'éterniser au-delà d'une heure, ce qui peut être déjà beaucoup ; M. Balint alerte sur l'illusion que l'on puisse arriver à « régler » un problème en laissant ou en encourageant un patient à déverser tout ce qu'il a à dire dans un premier entretien. Il démontre l'effet contre-productif de cette pratique : « le même matériel réparti en plusieurs entretiens donne au patient le temps de rétablir son équilibre le remède médecin doit être administré à dos adéquate manifestement certains patients ne peuvent tolérer une dose trop forte mais l'effet thérapeutique visé peut être obtenu sans risques sérieux si la drogue est administrée à doses fractionnées [15]».

Si l’un des objectifs est de produire cet effet de changement de posture et de travailler l’écoute, quelle en est la méthode ?

La méthode du groupe balint : une parole libre dans un cadre professionnel

La méthode du groupe balint, qui est à la fois de recherche et de formation, consiste à parler d’une consultation en exposant de manière précise les « réponses faites » par le médecin aux dires du patient plutôt qu’à ses symptômes. L’objectif du Balint est de permettre au médecin de trouver des alternatives utiles pour qu’il puisse « aider ses patients à prendre conscience de leurs problèmes et à trouver une solution moins coûteuse que de s’installer dans une mauvaise santé acceptable mais chronique ».

Le coup de force de M. Balint est d’avoir pu faire tenir et articuler ensemble une visée de formation et une visée de recherche, sans enfermer les participants dans un discours et un savoir clos, ni dans une démarche de recherche qui auraient pu les exclure, ratant ainsi la finalité de « formation ». Tout au contraire, sa démarche a été de proposer une méthode de travail permettant de respecter et de soutenir la singularité des pratiques de chacun des médecins. « …il était donc nécessaire que le médecin puisse disposer d'une grande liberté, en traitant ses cas selon son individualité propre… Notre tâche aurait été impossible si nous avions imposé des conditions rigides à notre remède, le médecin. On décida donc, non sans quelque inquiétude d'un ou deux des participants, d'adopter la tactique du « nager ou couler». On permit, on encouragea même chaque médecin à user librement de toute sa personnalité. Ceci aboutit à une grande diversité dans les techniques adoptées ». Cependant Michael balint indique une limite claire pour la conduite d'un balint : celui-ci n'est pas le lieu d'une thérapie personnelle, le travail proposé ne peut se substituer à une thérapie personnelle pour le médecin ; Sur cette question qu'il évoque en appendice, Balint espère que les médecins concernés finissent par comprendre d’eux-mêmes que ce n'est pas la finalité de cette instance, et si nécessaire, il leur conseille d'entreprendre un travail individuel ou leur demande de quitter le groupe. Cette limite vaut aussi pour l'animateur qui doit la respecter et la faire respecter[16].

La « fonction apostolique »

Cette méthode a mis en lumière ce que M. Balint a appelé « la fonction apostolique du médecin », « la foi et la loi ». Il l’aborde dans la troisième partie de son ouvrage consacrée aux conclusions générales. En effet, un des enseignements des groupes balint a été de repérer que le médecin se comporte souvent, vis-à-vis de ses patients comme s’il disposait d’un « savoir révélé » sur la manière dont les patients doivent se comporter pour guérir. Son travail se dote ainsi d’une mission dont il témoigne en tant que médecin, dans une fidélité à l’enseignement qu’il transmet à ses patients, avec un « zèle apostolique», à entendre comme « l’ensemble des actions exerçant une influence légitime sur autrui en vue de son salut ».  Cette fonction apostolique peut être négative, elle peut être à l’origine d’un manque d’écoute dont l’enjeu est d’avoir toujours raison et d’imputer au malade l’échec du traitement quand il ne guérit pas. Du côté des relations avec les collègues, elle engendre aussi une intolérance à la différence de point de vue. Cette certitude, qu’il évoque à propos d’un médecin «persuadé qu’une de ses réactions personnelles … était soit la seule manière possible, soit la seule raisonnable de traiter le problème en question », l’empêche de prendre en compte la singularité d’autrui, l’incapacité de considérer toute autre méthode que la sienne. Elle fonctionne comme une croyance «chaque médecin » dit-il « a une idée vague mais presque inébranlable du comportement que doit adopter un patient lorsqu’il est malade ». [17]La plupart du temps, l’intéressé lui-même n’en est pas conscient.  « Il en résulte, ou bien que le patient doit accepter « la foi et la loi » de son médecin, s’y convertir, ou bien qu’il les rejette et s’installe dans un état chronique d’ergotages, ou (…) il prend un autre médecin dont la foi et la loi lui convient mieux ». Il s’agit donc, dans ce registre, pour le médecin, de convertir le patient ou de s’assouplir. Cependant, chaque médecin, constate Michael Balint est amené à s’adapter aux demandes (offres et exigences) des patients, ce qui le conduit, la plupart du temps, à passer un « compromis » avec chacun d’entre eux, compromis qui assouplit la position du médecin. Ainsi, il est amené à déployer « une grande variété de relation » qui se nouent entre lui et ses patients;

Lecture et point de vue singuliers sur le « Balint »

A propos de la « fonction apostolique, la foi et la loi »

Plusieurs aspects s’intriquent dans cette « fonction » puisque M. Balint la définit aussi comme «les expressions de la conduite personnelle du médecin avec ses patients, autrement dit des expressions de sa personnalité. »

Comment peut-on questionner ce que Michael Balint appelle : fonction apostolique ?

Au-delà du concept de « personnalité », la fonction apostolique ne condense-telle pas deux registres, celui de la culture sous la forme des normes et valeurs du médecin et celui de la singularité et des effets de la part de « désir » engagé dans sa pratique ? N’y a-t-il pas dans la notion de foi cette double assertion, la foi comme croyance ou la foi comme engagement ? De même, la loi, peut être entendue, ou bien comme « la loi à laquelle le désir s’articule » ou bien « comme faire sa loi » ? Michael Balint oscille sur deux positions : quelque fois il l’évoque comme soutien à la pratique, quelquefois comme entrave à l’écoute. Auquel cas, démêler ces registres, pourrait être aussi un effet du « Balint ». Nous pouvons l’aborder sur ces différents versants en nous aidant de la distinction entre le versant culturel de la pratique médicale d’une part et le versant psychique d’autre part, dont la désintrication-articulation peut s’effectuer sous l’effet de la parole qui s’exprime en groupe Balint. Coté culture, il s’agit aussi d’un système de normes de comportement et de valeurs auquel le médecin tente de convertir le patient. Ces normes sont relatives aux conceptions, le plus souvent insues, qu’il se fait de la maladie, du rapport médecin-malade et de la définition de ce qu’est « être en bonne santé ». Ces normes à l’œuvre dans une consultation sont encore plus flagrantes lorsque des questions qui touchent la morale interviennent dans la demande du patient. (Cf. p.228 : la demande de certificat de complaisance d’une femme dont le médecin ne manque pas de signaler qu’elle est habillée de façon tapageuse…) Michael Balint invite donc à « assouplir » mais la distinction des registres peut ne pas être souligner par l’animateur, le groupe s’en charge : dans cet exemple de demande d’un certificat de complaisance…, les médecins sont loin d’être tous d’accord ; si l’un refuse d’emblée et fait appel au sens moral, au devoir… un autre préfère faire l’analyse de cette demande, « essayer de découvrir pourquoi la patiente voulait obtenir plus que son dû de cette manière »…et en faire avec elle l’analyse, l’élaborer avant de refuser ou d’accepter la demande … Les visites à domicile soulèvent régulièrement ce genre de questions et ceci pas seulement dans le rapport à la maladie, au corps, mais aussi en ce qui concerne les pratiques familiales, le mode de vie, le rapport au travail ou le style de vie amoureuse d’une patiente… chacun, dans le cadre du balint, prend position au regard de son système de valeurs. Le médecin ainsi que toutes les professions sociales, l’instituteur, l’éducateur, le formateur mais aussi le psychologue et l’animateur de balint sont confrontés par essence à ces questions culturelles. Pour ma part, avec l’éclairage d’une pratique de « consultations alter-culturelles », interroger la situation présentée par un médecin dans une position d’ethnographe, favorise l’assouplissement recherché par Balint, et, évite au groupe de médecins de s’engager dans un conflit de valeurs inutile et vain.Ce qui engage, chacun pour soi, l’examen de sa propre inscription culturelle. L’animateur de groupe balint[18] n’est pas exempt de cet examen.

Sur le registre de la réalité psychique, M. Balint rapporte une séance où il est question des appels téléphoniques : à l’occasion de la présentation d’une situation, on comprend qu’un médecin proposait un horaire pendant lequel il était possible de l’appeler. Plusieurs confrères réagissent en rejetant vivement cette pratique jugée risquée pour l’un, chronophage pour l’autre.  A l’insu de l’énonciation de ces différentes pratiques, ce qui se révèle, ce sont des modalités d’engagement dans la fonction médicale, et au-delà, de manière singulière, c’est le désir de médecin qui s’exprime. La foi apostolique est aussi ça : L’« immense puissance qui influence chaque détail du travail du médecin… », ces « singularités qui apparaissent clairement au séminaire tout entier alors que le médecin lui-même en était parfaitement inconscient… [19] ». C’est dans ces moments, que l’orientation de la conduite du Balint prend tournure. Si l’orientation d’un « Balint » vise à soutenir la part de désir qui s’engage dans l’activité de travail[20], position que je partage, cette singularité est à soutenir ; y veiller, c’est la fonction de l’animateur du balint, cela suppose d’éviter certains écueils.

Sur la conduite d’un « Balint »

Sur le registre de l’appel à la « bonne norme », la dimension des effets de groupe est à prendre en compte ; connaitre les phénomènes de groupe est utile pour mieux les diminuer si ce n’est les éviter, mais il ne s’agit pas pour autant, ici, de maniements ou d’analyse de transferts, ni de psychothérapie de groupe ;

Dans l’exemple des appels de nuits et des appels téléphoniques évoqués plus haut où se sont révélés de sérieux désaccords, la tentation n’a pas manqué de solliciter l’animateur, plus ou moins directement et d’attendre de lui qu’il se prononce et départage ainsi les points de vue. Nous retrouvons ici, un des phénomènes de groupe auxquels l’animateur est confronté : être mis en lieu et place de savoir,  « Comme on le verra, les médecins se sont efforcés d'entraîner les psychiatres dans une relation maître-élève, mais pour de nombreuses raisons on jugea bon de résister à cette tentative. Notre but était de créer une atmosphère libre, une relation de réciprocité entre ce qui était donné et ce qui était reçu…». Michael Balint n’est pas tombé dans le piège d’avoir à énoncer « la bonne pratique professionnelle » ; dans cet exemple, il évite de se prononcer et fait remarquer simplement qu’en général, les patients s’adaptent à chacun de ces systèmes et en font « bon usage ».

Un des intérêts d’un groupe balint, est de rassembler des professionnels hors de leur organisation de travail. Nous sommes, dans ce cas, dégagés des conflits, des alliances d’intérêts, du jeu des relations, de toutes les petites et empoisonnantes « histoires » qui font trop souvent partie de la vie d’une organisation de travail ; pour autant, nous ne sommes pas à l’abri des phénomènes de groupes ; une des tâches de l’animateur du balint, est d’éviter que le groupe ne s’enferre dans ces effets qu’il ne peut manquer de produire : illusion groupale fondée sur l’illusion du même qui produit de l’indifférenciation et du consensuel, pression à la conformité, dépendance au leader, ou « attaque-fuite » ou encore le présupposé « messianique »… encore une fois, faire obstacle aux effets de groupe ne veut pas dire les analyser in situ comme on a pu le faire dans certaines approches du travail en petit groupe. C’est plutôt les repérer et intervenir, autrement dit « venir entre », en distinguant, par exemple, les participants qui ont tendance à se con-fondre, en soutenant une parole exclue, en ramenant au travail lorsque le groupe « relationne », en refusant toute demande de conseils en termes d’outils, de techniques ou en termes de savoir à délivrer. Ni l’animateur ni le groupe n’ont de modèle à donner, de bonne pratique à prescrire.

La finalité d’un « Balint », point de vue

Il ne s’agit donc pas de former au regard d’une « bonne pratique » édictée par l’animateur ou le groupe, mais bien plutôt de se forger une pratique, avec son style, son implication personnelle, sa singularité.

Le collectif des collègues réunis en balint, offre un cadre et les repères institutionnels de son champ. Le groupe balint est hors organisation mais pas hors institution ; dans le cas d’un groupe balint de médecins, ce qui fait institution, c’est le discours médical, avec ses valeurs, ses cadres de références, l’histoire de la médecine, ses règles et l’ensemble des énoncés soutenus dans le monde médical aujourd’hui, qu’ils soient dissonants ou non. Ce discours, est indirectement remanié, réélaboré dans l’abord des situations évoquées. La culture professionnelle n’est plus, des lors, un discours fixé une fois pour toute, figée, mais une culture en mouvement. C’est dans ce cadre que peut se soutenir une élaboration singulière investi du désir de chacun. S’y développe une grande idée ou une petite théorie[21]non pas du côté de la tradition/reproduction du « modèle » mais du côté d’un « penser », éventuellement inventif, en tout cas suffisamment pour activer l’«envie de travailler». Le simple fait de parler d’une situation, dans laquelle on est engagé, permet déjà d’entrer dans ce travail d’élaboration, travail qui produit, souvent à notre insu, ce changement « limité bien que considérable » qui entraine des effets sur sa pratique. Un « balint », dans cette orientation, c’est à la fois, une recherche personnelle qui témoigne du désir à l’œuvre et même temps le soutient, et à la fois le remaniement des énoncés professionnels grâce aux prises de position singulière qui échoient dans le social représenté ici par le groupe. Ces prises de positions transforment celui qui les formulent et transmets « un quelque chose » à d’autres. C’est ainsi que peut se créer les conditions pour qu’une culture d’appartenance continue de se fomenter en restant ouverte et vivante.

En réponse à la question posée au départ de cet exposé, avec un groupe Balint qui invite à penser son travail et non à l’exécuter selon les recommandations de « bonnes » pratiques, nous sommes à l’exact opposé des démarches dite de qualité qui produisent des procédures pour que fonctionnent mieux les machines humaines au travail, mécaniques que l’on voudrait bien huilées, homogénéisées, et dont on s’étonne qu’elles s’épuisent et n’ont plus la motivation d’antan…

 

Catherine Jobert, psychologue, psychanalyste

2008 revu en 2017 pour l’exposé oral retranscrit et publié dans le « bulletin d’Alters 2018 »

 



[1] Le médecin, son malade et la maladie, 1ère édition : 1957, 2ème édition : 1963, Bibliothèque scientifique Payot

[2]  « La nature particulière de la recherche réclamait non seulement qu’ils exposent avec franchise de nombreux détails personnels touchant à leur pratique quotidienne (détails qui n’ont jamais été rendus publics) mais encore notre but exigeait que fut acceptée une investigation critique de ces mêmes détails. P.5 (1ère édition 1957)

[3] La Tavistock Clinic est le premier centre de thérapie psychanalytique anglais conventionné fondé en 1920. Le fondateur, Hugh Crichton-Miller, a travaillé sur les névrose de guerre sous la double influence de Jung et de Freud. Le centre reçoit des enfants, adolescents et leur famille, dispensant aussi des enseignements à d'autres institutions. L'éclectisme de l'institution a suscité de nombreuses controverses. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Tavistock a initié des communautés thérapeutiques pour soldats sous l'impulsion de Wilfred Bion. Les activités de la Tavistock se sont aussi diversifiées avec des consultants pour « changements organisationnels » dans des institutions (Eliot Jaques), un service d'aide aux familles, un département pour adolescents, etc. Michael Balint et d'autres analystes ont alors rejoint les nombreux intervenants.

[4] p.12

[5] Cf. le 1er appendice de la 2ème édition, Michael Balint apporte quelques précisions sur les conclusions qu’il tire de cette expérience sur le plan de la formation des médecins

[6] p. 317

[7] P.13

[8] P.27 on cite souvent la première phrase en omettant la seconde qui met davantage l’accent sur « la manière » plutôt que sur le remède.

[9] P.292

[10] p. 155 et 156

[11]  P.129

[12] p. 131 et 132

[13] p.142

[14] p.146

[15] p.150

 

[16] Appendice II p.335

[17] p. 227 -228)

[18] Il ne s’agit pas d’introspection, mais d’un repérage auto-ethnographique qui permet de SE SITUER.

[19] Pour reprendre le terme de Michael Balint à propos de la fonction apostolique

[20] Position soutenue par Marc Thiberge, dans le cadre des « Balint » de l’Association alters

[21] C’est ainsi que j’ai « lu » la proposition de m. thiberge : « élaborer un par un sa théorie, c’est-à-dire, le lien social qui sous-tend la pratique du réel des situations professionnelles rencontrées, en obtenir «un changement limité, bien que considérable », dans la manière de mettre un peu pour chacun, son désir dans son champ de travail. Dans ce cadre,l’identification professionnelle commune devrait permettre de partager le discoursd’appartenance (médical, éducatif, pédagogique...) à partir duquel, chacun se doit d’élaborer sa théorie.

 

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